Pakistan : Mithi, un havre de paix entre musulmans et hindous

9:45 - October 10, 2018
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A Mithi, les vaches déambulent nonchalamment, comme dans l'Inde voisine, sans être jamais dérangées. Animal sacré chez les hindous, ces ruminants incarnent la tolérance religieuse de cette ville du sud du Pakistan, pays musulman conservateur où les minorités sont fortement discriminées.

Ici, "les musulmans respectent les croyances des hindous", se réjouit Sham Das, un retraité de 72 ans. "Ils ne tuent pas les vaches, ou alors seulement dans des endroits éloignés, mais pas dans les quartiers hindous", ajoute-t-il.


Les bovins aux longues cornes acérées vivent en rois à Mithi, comme nulle part ailleurs au Pakistan. Dans cette ville où les 60.000 habitants vivent dans la quiétude, ils mangent à leur guise, souvent dans les poubelles, s'endorment sur les routes, forçant tuk-tuks et motos à les contourner ou à patienter.


Mithi est majoritairement hindoue, une rareté dans un pays où plus de 95% de la population est musulmane et où les hindous, bien que formant le deuxième groupe religieux, ne représentent que 3,3 des 207 millions de Pakistanais.

Des enfants devant le temple Shri Krishna, le 24 mai 2018 à Mithi, au Pakistan/AFP
Des enfants devant le temple Shri Krishna, le 24 mai 2018 à Mithi, au Pakistan/AFP


Quand ils entrent dans le temple Shri Krishna, les fidèles font tinter une clochette, dont le bruit se mêle à l'Azan, l'appel à la prière des musulmans, qui résonne quelques rues plus loin. A la sortie de l'édifice multicolore à la façade travaillée, un groupe de jeunes hindous discute paisiblement.


Pas un garde ne protège le bâtiment, contrairement aux quartiers hindous de Karachi, la plus grande ville du pays, distante de 300 km à peine, où ils sont sous surveillance armée.


- Précarité -

La prière du vendredi dans une mosquée de Mithi, le 25 mai 2018 au Pakistan/AFP
La prière du vendredi dans une mosquée de Mithi, le 25 mai 2018 au Pakistan/AFP


"Sur les 360 temples qu'il y avait à Karachi, à peine une douzaine sont encore en fonction. Le reste a été fermé et les terrains sont progressivement usurpés", regrette Vijay Kumar Gir, un prêtre hindou de cette ville. "On apprend dès leur enfance aux hindous à ne pas se confronter aux musulmans car ce sont eux les plus forts."


Au Pakistan, les hindous "sont stigmatisés comme étant pro-Inde du fait de leur religion", estime Marvi Sirmed, une défenseure des droits de l'Homme. "Donc on les regarde toujours avec la suspicion qu'ils soient anti-Pakistan", poursuit-elle, en référence aux relations houleuses entre les deux pays, qui se sont livré trois guerres depuis leur naissance suite à la partition de l'Inde britannique en 1947.


"La migration des hindous vers l'Inde pourrait bientôt se transformer en exode si les discriminations qu'ils subissent se poursuivent", s'alarme dans son rapport annuel la Commission pakistanaise des droits de l'Homme (HRCP), qui qualifie leur existence au Pakistan de "précaire".

Des hindous prient au temple de Shri Krishna, le 24 mai 2018 à Mithi, au Pakistan/AFP
Des hindous prient au temple de Shri Krishna, le 24 mai 2018 à Mithi, au Pakistan/AFP


D'après cette commission, qui cite des cadres religieux, le principal problème de la communauté est "la conversion forcée" de ses filles, dont "beaucoup sont kidnappées alors qu'elles sont mineures, puis converties de force et mariées à des musulmans".


- Mithi épargnée -
Rien de cela ne semble pourtant toucher Mithi, où musulmans et hindous affirment cohabiter parfaitement. Cadeaux et sucreries s'échangent entre communautés pour les fêtes religieuses.

Sham Das, retraité, au temple Shri Krishna, le 24 mai 2018 à Mithi, au Pakistan/AFP
Sham Das, retraité, au temple Shri Krishna, le 24 mai 2018 à Mithi, au Pakistan/AFP


"Depuis que je suis en âge de raisonner, j'ai été témoin de la fraternité, de l'amour et de l'harmonie entre hindous et musulmans", confie Sunil Kumar, un commerçant hindou de 35 ans. "Cela nous vient de nos aïeux et cela durera toujours", assure-t-il.


A l'origine du phénomène, le positionnement géographique de la ville, au milieu de dunes de sable du majestueux désert de Tharparkar, de l'autre côté de la province indienne du Rajasthan. Des chercheurs locaux font état d'un groupe d'hindous épris de paix venus fonder Mithi au début du XVIe siècle, alors que guerre et pillages faisaient rage tout autour.


Comme les sols y étaient pauvres et l'eau accessible uniquement en profondeur, seuls les plus humbles seraient restés. Les invasions arabes sur l'Asie du Sud et le règne Moghol auraient ensuite conduit une partie d'entre eux à se convertir à l'islam.


- "Pacifistes" -
"Nous sommes les descendants des résidents originels de cette région, aussi positifs et pacifistes qu'ils l'étaient", affirme Allah Jurio, un imam de 53 ans. "La non-violence est intrinsèquement notre seconde nature". Mithi est aussi reconnue pour son taux de criminalité extrêmement bas.

Allah Jurio, imam dans une mosquée de Mithi, le 25 mai 2018 au Pakistan/AFP
Allah Jurio, imam dans une mosquée de Mithi, le 25 mai 2018 au Pakistan/AFP


Mais alors que l'extrémisme religieux et le "discours de haine" progressent au Pakistan, où "les violences au nom de la religion se produisent à un rythme soutenu", selon l'HRCP, la peur de voir disparaître cette oasis de tolérance est réelle.


En février, la mort de deux commerçants hindous de Mithi, tués par balles alors qu'ils ouvraient leur magasin, a fait craindre le pire aux habitants. Il s'agissait du premier meurtre dans la ville depuis des années. Mais il ne s'agissait en fait que d'un crime crapuleux, dont les auteurs ont été capturés et emprisonnés, a appris l'AFP de source policière.


Chandar Kumar, un informaticien de 24 ans, ne voit aucun problème sur le long terme venant des habitants de Mithi.


"Mais certaines personnes venant de l'extérieur aspirent à diffuser la discrimination", regrette-t-il, se refusant à nommer quiconque, alors que des groupes extrémistes, tel le Jamaat-ud-Dawa, une organisation qualifiée de terroriste par l'ONU, sont soupçonnés d'être actifs dans la zone.
"Elles veulent mettre un terme à l'unité", soupire-t-il.
afp

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